Le théâtre muet : un voyage de la Grèce antique à l’Algérie contemporaine

La deuxième conférence organisée dans le cadre du programme littéraire de la 17e édition du festival national du théâtre professionnel a été l’occasion pour le professeur Habib Boukhelifa et le metteur en scène Mohamed Charchal de mettre en lumière l’art du mime, ou théâtre muet. Ce moment a permis d’explorer l’émergence et l’évolution de cette forme d’expression à travers les âges, tout en réfléchissant à son développement dans le théâtre algérien à travers diverses expériences innovantes.
Habib Boukhelifa, enseignant à l’Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle et de l’Audiovisuel (ISMAS), a retracé les grandes étapes de l’histoire du mime. Selon lui, l’expression corporelle a précédé la parole dans l’histoire humaine. Les premières traces documentées du mime remontent à la Grèce antique, où cette pratique était associée à la comédie. Les mimes grecs utilisaient le visage, le corps et les gestes pour exprimer des émotions et raconter des histoires, souvent avec un caractère satirique ou improvisé.
« À Rome, où le pouvoir était autoritaire, le mime est devenu une forme de spectacle populaire. Les esclaves et affranchis mimaient des scènes de la vie quotidienne, des mythes et des satires politiques, » a expliqué Boukhelifa. Toutefois, avec l’avènement du christianisme, le mime a été marginalisé, considéré comme une forme profane et immorale. Pourtant, des traces subsistent dans les mystères et fêtes médiévaux.
À la Renaissance, le mime retrouve sa vitalité à travers des formes comme le masque et la Commedia dell’Arte, avec ses personnages typiques tels qu’Arlequin ou Colombine, qui ont popularisé l’expression corporelle. Aujourd’hui, le mime s’enrichit de multiples influences, qu’il soit classique, contemporain, ou mêlé à d’autres formes artistiques comme la musique et la danse.
« Depuis ses origines dans la Grèce antique, le mime a traversé les siècles en s’adaptant à chaque époque, et demeure un art universel et en constante évolution, » conclut Boukhelifa.

Mohamed Charchal : redonner au théâtre son universalité

Le dramaturge Mohamed Charchal, connu pour ses œuvres dans le muet Mabkat Hadra et GPS, s’est engagé dans le théâtre muet pour répondre aux défis contemporains du théâtre algérien. Il prépare actuellement un nouveau spectacle intitulé Méta Show, une œuvre qui incarne son ambition de faire du théâtre algérien une forme universelle, accessible à tous au-delà des frontières linguistiques.
Charchal explique que son choix de se tourner vers le mime provient d’une critique acerbe des textes contemporains. « Depuis les années 1990, les textes théâtraux se sont appauvris, devenant verbeux et dépourvus de la notion de plaisir. Certains auteurs se réfugient dans un postmodernisme abstrait qui perd aussi bien les spectateurs que les professionnels, » déplore-t-il. Cette situation l’a poussé à abandonner les dialogues pour explorer l’expression corporelle.
« La parole est une frontière. Supprimer les mots, c’est abolir les frontières, et permettre au théâtre d’être compris et apprécié partout, » affirme Charchal. Il réfute toute accusation de vouloir effacer l’importance des auteurs : « Je ne rejette pas les grands textes comme ceux de Tchekhov, Kaki ou Alloula, qui sont éternels. Je me suis simplement passé des mauvais textes pour explorer un autre langage. »
Pour Cherchel, le théâtre muet offre une chance unique au théâtre algérien de briller à l’international, grâce à la puissance universelle du corps comme vecteur d’émotion et d’histoires. Cette conférence a permis de montrer comment le mime, art ancien et intemporel, peut devenir une réponse contemporaine aux défis du théâtre, tout en continuant d’évoluer pour toucher les cœurs et transcender les cultures.