Le Théâtre national Mahieddine Bachtarzi a accueilli, samedi 21 décembre, une conférence sur le thème « Théâtre dans l’arène de la résistance et de la libération », dans le cadre des conférences littéraires organisées en marge de la 17ème édition du Festival national du théâtre professionnel. Trois conférenciers -Abdennaser Khellaf, Hmida Layachi et Brahim Noual- se sont succédés pour éclairer l’histoire et le rôle du théâtre dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie.
Abdennaser Khellaf : Le théâtre, outil de résistance et de prise de conscience
Le critique Abdennacer Khellaf a déclaré que le théâtre résistant et professionnel a accompagné la Révolution algérienne dès son déclenchement. Du réveil des consciences au théâtre de la confrontation, les artistes algériens n’ont pas seulement contrebalancé le pouvoir colonial, mais ont activement participé à l’éveil populaire et à la résistance. Cette contribution a même été saluée par Che Guevara, qui, lors de sa visite en Algérie, a assisté à la représentation de Après 132 ans d’Abderrahmane Kaki et a déclaré : « Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai vu un théâtre révolutionnaire.»
Khellaf a rappelé que le théâtre de l’ombre a été interdit dès 1848, ce qui montre l’impact profond qu’il avait sur les populations mais aussi son rôle avant-gardiste. Au fil des décennies, des figures comme Habib Réda, Taha El Amiri et Mahieddine Bachtarzi ont contribué à l’éveil populaire par des textes et des mises en scène soigneusement conçus.
Parmi ces résistants des planches, Mohamed Touri, arrêté et torturé entre 1956 et 1959, a présenté une pièce majeure, L’ennemi du peuple. Khellaf a également cité Henri Alleg, qui dans La question, évoque la maltraitance subie par Touri et les conditions de son incarcération.
Khellaf a également mis en lumière le rôle de Habib Réda, premier musicien à introduire la musique dans l’opéra algérien. Réda a été un des chefs de la zone autonome d’Alger, selon Zohra Drif, bien souligné dans ses mémoires. Malheureusement, ces contributions restent souvent méconnues. Khellaf a conclu en affirmant que ces artistes ont été les victimes du silence et de l’ignorance collective.
Hmida Layachi : Kateb Yacine, poète et militant
Le journaliste Hmida Layachi, a exploré l’apport de l’œuvre de Yacine à la résistance culturelle. Arrêté et emprisonné lors des manifestations du 8 mai 1945 alors qu’il était encore enfant, Kateb Yacine a vécu cet épisode comme une prise de conscience brutale. La folie de sa mère a accentué sa douleur et marqué son écriture poétique et dramatique. Yacine s’est attaché, alors, à briser les schémas culturels coloniaux en Algérie, critiquant notamment Albert Camus et dénonçant l’impérialisme dans toutes ses formes.
Yacine a également exprimé son soutien à la Révolution iranienne et à la lutte palestinienne, les liant aux grands mouvements de résistance mondiale. Pour Yacine, la résistance est un processus universel, allant de la Révolution française à Nelson Mandela en passant par Ho Chi Minh. Layachi a terminé son intervention en soulignant le rapport de Kateb Yacine à l’islam, qu’il considérait comme une religion progressiste, citant l’exemple de Bilal Al-Habachi, symbole de justice sociale dans l’islam naissant.
Layachi a également mentionné des œuvres marquantes de Yacine telles que Le Cadavre encerclé, créée en 1958, qui revient sur les massacres de Sétif, ou encore Les Ancêtres redoublent de férocité, où transparaît son engagement indéfectible pour l’émancipation du peuple algérien.
Brahim Noual : Mustapha Kateb, une vie d’engagement
Brahim Noual a consacré son intervention à Mustapha Kateb, une figure centrale du théâtre algérien. Noual a divisé le parcours de Kateb en trois phases : avant 1958, de 1958 à 1962, et après 1962. Il a rappelé que Kateb était militant bien avant la création de la troupe du FLN, s’engageant dans des mouvements comme le PPA, le MTLD et l’UDMA.
Inspiré par le Chœur de l’Armée rouge qu’il avait vu à Moscou, Kateb a été le moteur de la création de la troupe du FLN en 1958. Cette troupe, avec des productions comme Nahwa ennour (Vers la lumière) et El Khalidoun (Les immortels), a porté la voix de l’Algérie sur la scène internationale, sensibilisant l’opinion publique mondiale à la lutte pour l’indépendance. Son militantisme a inspiré ses talentueux élèves notamment Sid Ali Kouiret, Hadj Omar et Yahia Benmabrouk.
Après l’indépendance et lors de son passage au CPVA, Kateb a également joué un rôle clé dans la fondation de l’Institut National Supérieur des Arts Dramatiques (INSM) et la création de plusieurs centres culturels à Alger ainsi que deux revues culturelles-phares : Al Halqa et Culture et révolution.
Noual a conclu en rappelant que Mustapha Kateb incarnait le trait d’union entre culture et révolution, soulignant que son engagement a laissé une empreinte indélébile sur l’histoire culturelle et politique de l’Algérie.
Cette conférence a été une occasion de rendre hommage aux artistes qui ont joué un rôle essentiel dans la résistance algérienne. Leurs œuvres, leurs luttes et leurs sacrifices rappellent que le théâtre, loin d’être un simple divertissement, est un outil puissant de changement social et politique. Les pièces clandestines, comme Awlad el qasba (Les enfants de la Casbah) et Dem al ahrar (Le sang des libres), tout comme les œuvres de Kateb Yacine et de nombreux autres dramaturges, continuent de résonner comme des actes de mémoire et de lutte.